Gros sur la patate

3Mai/17Off

Le festival des séries

Plus de 53 000 spectateurs, 10 jours de projection, 150 séances, une soixantaine de séries dont 31 avant-premières mondiales et internationales, un panorama sans frontières qui rassemble 19 séries produites dans 14 pays différents, une ouverture « hors les murs » (l’UGC Ciné Cité Les Halles, Le Grand Rex, l’UGC Normandie, Le Centre Pompidou, Le Luminor Hôtel de Ville et l’UGC Ciné Cité Rosny) : tout cela pour voir le prix du public, visant à récompenser la série « coup de cœur » parmi les nouveaux titres en saison 1, attribué à… The Good Fight. Voilà à quoi en est réduite la sériephilie française : à mettre en exergue une série judiciaire américaine à peine au-dessus de la moyenne, dérivée d’une autre série judiciaire américaine à peine au-dessus de la moyenne en dépit de toutes les louanges dont elle a pu bénéficier (The Good Wife), et portée par l’un des networks les plus conservateurs – artistiquement parlant – de ces vingt dernières années : CBS. Alors que dans le même temps, rien que dans les rangs américains, étaient projetées des séries autrement plus avant-gardistes telles qu’Atlanta (FX), Legion (FX) ou I Love Dick (Amazon), pour ne citer que ces trois-là. Vous me direz : réjouissons-nous qu’une série de network soit encore capable de fédérer un public bien décidé à ne pas s’enfermer dans une niche et à y rester pour le restant de ses jours (en précisant que seul le pilote de The Good Fight a été diffusé sur CBS : le reste alimente son service de SVOD lancé pour l’occasion, CBS All Access). D’autant que la série porte sensiblement la patte de son couple de créateurs, Robert et Michelle King, si prompts à mêler trajectoires personnelles et desseins communs, humour grinçant et ancrage politique ultra-contemporain (combien de votes gagnés rien que par la charge anti-Trump qui ouvre le pilote de la série ?). C’est à n’en pas douter une série agréable à suivre, pleine de rebondissements inattendus et de figures féminines qui se battent pour tirer leur épingle du jeu au sein de conseils d’administration dominés par des bataillons de mâles alpha en costard-cravate taillé sur mesure (encore des points bonus !). Mais soyons sérieux deux minutes. The Good Fight est aussi une œuvre du consensus (déjà beaucoup plus que le précédent essai du couple King, BrainDead, annulé par CBS au bout de 13 épisodes), qui ne laissera aucune trace dans l’histoire des séries télévisées. Que ce soit elle qui, parmi toutes les étapes du tour du monde généreusement offert par le festival Séries Mania, retienne le plus l’attention du public au sens large (certes en majorité parisien, mais pas seulement) en dit long sur l’état de la sériephilie française. D’autant que l’excuse habituelle du manque de diversité de l’offre ne peut être ici employée : toutes les séances sont gratuites, et le panorama présenté bien plus hétéroclite que celui d’un TF1 ou d’une chaîne de la TNT... Le plus consternant, peut-être, est que ce consensus rejoint celui d’une partie de la critique française, qui n’a pas hésité à élire le 7 juin dernier Dix pour cent (France 2) meilleure série française de la saison 2015/2016, un an après… P’tit Quinquin (Arte). Comment une création – là encore – agréable à suivre mais, somme toute, assez conventionnelle a-t-elle pu succéder à l’anti-polar burlesque et explosif de Bruno Dumont ? Est-ce seulement dû à un affadissement récent de la production française (rappelons que les autres nominés étaient Ainsi soient-ils, Baron Noir, Le Bureau des légendes et Tunnel) ? Il est permis d’en douter, tant le plébiscite accordé à Dix pour centsemble symptomatique d’une volonté de se contenter des séries du « milieu », celles qui ne prennent pas trop de risques et ne s’aventurent pas hors de notre zone de confort. De l’art mou, contre lequel on peut venir se blottir et s’endormir en ayant la garantie de ne faire ni de beaux ni de mauvais rêves. Finalement, la France a peut-être la télévision qu’elle mérite. Pendant que des nations émergentes de la création sérielle européenne se mettent « en marche », à l’image d’un Danemark ou d’une Belgique aux moyens financiers pourtant sans commune mesure avec les nôtres, notre production domestique régresse depuis plusieurs années au point de voir décerner à des séries médianes comme Dix pour cent les honneurs des palmarès, tel un joueur de banc amené à devenir titulaire faute de leader capable de s’imposer au sein du onze de départ. À l’ère de la Peak TV, l’heure est pourtant à la curation plutôt qu’au volume : cela vaut pour l’industrie télévisuelle internationale, mais aussi pour un public prétendument connaisseur dont la mission, s’il l’accepte, est de créer les nouvelles tendances plutôt que de les suivre docilement. Telle est la condition sine qua non pour que la sériephilie ne soit enfin plus un vain mot en France.

Remplis sous: Non classé Commentaires
Commentaires (0) Trackbacks (0)

Désolé, le formulaire de commentaire est fermé pour le moment

Trackbacks are disabled.