Gros sur la patate

2Mar/18Off

Traiter du suicide: une injonction éthique

Un journaliste à qui il est demandé de couvrir une pendaison sur un lieu public pourrait se sentir acculé. D’un point de vue moral et philosophique, l’effet Werther rend difficilement acceptable le manque de discernement au moment de traiter du suicide. Dans le même temps, la déontologie et l’impératif d’utilité sociale excluent toute éventualité d’oblitération. En réalité, il nous semble que cette double contrainte implique davantage une injonction qu’elle ne mène à une impasse. Et l’injonction que le suicide fait au journaliste est celle de la voie tierce, du pas de côté. Pour ne pas avoir à se soumettre à l’indécidable, celui-ci n’a d’autre choix que de transposer la problématique. Non plus se poser la question « Doit-on parler du suicide? » (question que les réseaux sociaux, sur lesquels les gestes et propos suicidaires abondent, rendent de toute façon caduque), mais plutôt « Comment bien parler du suicide? ». L’inscription première sous le régime du qualitatif permet de clore toute hésitation quant à la pertinence de traiter des faits divers suicidaires en même temps qu’elle recentre le journaliste sur le cœur de sa fonction. En se demandant « Comment vais-je traiter cette pendaison? » avant même de se demander « Puis-je en traiter? », c’est le champ de l’art journalistique qui s’ouvre dans toute son immensité: quel angle? Quels mots? Quel style? Pour quel lectorat? Dans quel but? Un champ dans lequel le suicide exerce auprès du journaliste sa deuxième injonction: celle de l’exigence. Soumis à l’exceptionnelle sensibilité éthique du sujet, renvoyé au plus pur de ses responsabilités, le professionnel doit faire montre d’une application et d’une attention toutes singulières. Le suicide en appelle à son expertise, à son expérience et à sa sensibilité. Il les met à l’épreuve autant qu’il lui donne une occasion de les exprimer. Comme un défi lancé à ses compétences professionnelles, la tâche devient une stimulation. Et ce, d’autant plus que l’exercice ne porte pas seulement sur le contenu factuel qu’il y aura à restituer. Pour bien traiter du suicide (ou dans une sémantique moins moralisante, pour le traiter de façon responsable) il s’agit non seulement de prêter attention aux faits, à la description objective et à la dénotation, mais aussi à ce qui n’est pas écrit et que le lecteur pourrait néanmoins comprendre ou interpréter.

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